Face à une Assemblée sans majorité, qui pour gouverner la France ?

Les élections législatives de 2024 ont donné un résultat inédit sous la Vème République : une Assemblée nationale où aucune majorité n'émerge. Face au risque de blocage institutionnel, la France doit réapprendre l'art du compromis, et celui de la coalition gouvernementale.

La Vème République, un régime conçu pour favoriser l'émergence de majorités nettes à l'Assemblée nationale

Jusqu'ici, la logique de nos institutions faisait émerger des majorités pléthoriques à l'Assemblée nationale.

Tout d'abord, le mode de scrutin, majoritaire et uninominal à deux tours (avec absence totale d'une dose de proportionnelle) favorisait les reports de voix sur les partis centristes. Il créait ainsi un plafond de verre pour les partis extrémistes, ainsi que pour les petits partis. Cela empêchait l'émergence d'une myriade de petits groupes à l'Assemblée nationale, comme cela était le cas sous des régimes antérieurs.

Ainsi, l'Assemblée nationale a toujours connu, depuis 1958, une majorité nette, qu'elle soit de gauche ou de droite. S'il a pu arriver, par trois fois, que cette majorité soit hostile au Président de la République, notre régime politique a su s'en accommoder, en inventant le système de la « cohabitation ».

De plus, depuis 2002, le passage au quinquennat d'une part, et l'inversion du calendrier électoral d'autre part, avaient pratiquement garanti une majorité favorable au Président de la République. En effet, les élections législatives se tenant désormais juste après l'élection présidentielle, les résultats de ces deux scrutins devaient forcément être similaires.

Les élections législatives de 2022 avaient fait émerger une majorité, même si elle n'était que relative

La XVIème législature, commencée en 2022, a initié un tournant, qui est toutefois à relativiser au regard de la situation actuelle.

En effet, pour la première fois depuis 1958, aucun camp n'avait réussi à obtenir la majorité absolue à l'Assemblée nationale. Cependant, le camp favorable au Président de la République (Renaissance, MoDem, Horizons), était arrivé clairement en tête, avec 250 députés. Ce chiffre le désignait naturellement pour gouverner le pays.

Le Président de la République a donc pu désigner une Première ministre, sans que celle-ci ne soit immédiatement poussée à la démission par une motion de censure. En effet, pour la faire tomber, il aurait fallu, d'abord, que toutes les oppositions se coalisent contre elle, et ensuite, que les députés soient prêts à voir leurs mandats prendre fin prématurément (puisque, dans la logique des institutions, le vote d'une motion de censure doit être suivie d'une dissolution de l'Assemblée nationale, comme ce fut le cas en 1962).

Bien que fragile, le gouvernement a donc pu se maintenir, et même faire passer plusieurs textes, en s'alliant tour à tour avec la gauche ou avec la droite de l'hémicycle. En effet, le poids du camp présidentiel était tel que l'émergence de majorités d'idées, avec des alliances texte par texte, était envisageable.

La nouvelle Assemblée nationale ne permet à aucun camp de former et de maintenir un gouvernement

Suite aux élections législatives de 2024, la situation est totalement différente, car cette fois-ci, aucun camp ne s'approche de la majorité absolue.

L'Assemblée nationale est divisée en trois blocs, dont chacun occupe environ un tiers des bancs de l'hémicycle : le Nouveau front populaire, le camp présidentiel, et le Rassemblement national allié à une partie des Républicains. Aucun de ces trois blocs ne peut, à lui tout seul, former un gouvernement : en effet quel que soit le cas de figure, il sera facile de trouver 289 députés pour voter une motion de censure. Cette dernière sera, d'ailleurs, d'autant plus simple à voter que la menace de la dissolution en représailles a disparu : en effet, le Président de la République ne peut pas dissoudre deux fois l'Assemblée nationale en moins d'un an. Tout gouvernement, formé par l'un de ces trois blocs, chuterait donc immédiatement face à une alliance des oppositions.

Pourtant, la France ne peut pas rester longtemps sans gouvernement. En effet, notre République centralisée accorde un poids bien trop important au gouvernement central pour que le pays puisse fonctionner en l'absence de celui-ci. Sans gouvernement, il est notamment impossible de voter un budget pour l'année prochaine. Ainsi, contrairement à un pays comme la Belgique, qui a pu rester plusieurs mois sans gouvernement fédéral grâce à la grande autonomie de ses collectivités territoriales, la France, elle, a besoin de se doter rapidement d'un gouvernement.

Face à la menace de blocage institutionnel de notre pays, la France doit réapprendre l'art des gouvernements de coalition

Les institutions de la Vème République ont prouvé leur résilience : elles ont su inventer la cohabitation pour se sortir de l'impasse en 1986. Aujourd'hui, elles peuvent permettre la continuité de l'action publique, sous réserve d'un changement de culture de nos hommes politiques.

Nous n'avons jamais connu, depuis 1958, une absence totale de majorité à l'Assemblée nationale. Nous sommes habitués aux majorités pléthoriques, qui peuvent imposer leur programme sans discussion avec les partis minoritaires. Nous avons donc perdu ce qui est pourtant la clef de voûte du parlementarisme : le compromis.

Aujourd'hui, pour éviter un blocage institutionnel, la seule solution semble être une coalition gouvernementale, c'est-à-dire l'alliance de plusieurs partis pour former une majorité absolue, et donc un gouvernement. Sur le papier, la Vème République est parfaitement compatible avec cette pratique, qui est d'ailleurs le quotidien de nombreuses démocraties européennes : on peut penser notamment à la Belgique ou à l'Italie. Mais nos hommes politiques français, peu habitués à cet exercice, doivent se le réapproprier.

Aujourd'hui, il semble que trois coalitions possibles pourraient permettre d'atteindre la majorité absolue, et donc de former un gouvernement. D'abord, une alliance du bloc centriste avec le bloc de gauche. Ensuite, une alliance du bloc centriste avec le bloc de droite. Enfin, une alliance du bloc centriste avec la gauche et avec la droite modérées, en excluant La France Insoumise et le Rassemblement national. Bien que rappelant fortement ce qu'était « En Marche ! » en 2017, cette solution figure parmi les plus probables.

La crise institutionnelle qui semble poindre n'est pas une impasse, loin de là. Il existe une porte de sortie, que toutes les démocraties parlementaires connaissent. Il ne tient qu'à nos hommes politiques de s'y adapter, et de faire preuve de responsabilité, afin de permettre à notre pays d'avancer.

Législatives 2024 : quelles conséquences ?

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